Tamurt-iw : La Kabylie

Kabylie, le plus doux, le plus beau des mots à prononcer. Kabylie, cette beauté faite terre, montagne et mer. Tu nous hantes quand on te quitte. Loin de toi, nous ne sommes plus exactement nous-mêmes. Nous devenons des possédés par tes couleurs, ton verbe, tes bruits et tes parfums. Tes montagnes et tes petits villages ne nous abandonneront jamais.
Alors, grandiose Kabylie de nos ancêtres, où que nous soyons, aux Amériques, en Europe ou ailleurs, nous t'aimerons d'un amour plus haut que ton Djurdjura et aussi fort que ta rébellion !
Tahar HOURI © 2015. Tah'art.





















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dimanche 7 août 2011

Ma valise au retour de Kabylie


Durant les derniers jours qui précédaient mon retour d’Algérie, deux sentiments me traversaient en alternance, celui de vouloir prolonger mon séjour de quelques journées afin que je puisse suivre les changements discrets de la nature : les olives qui, d’un jour à l’autre augmentent de volume sur les branches de l’olivier qui s’invitent à la terrasse de notre maison. Des olives sauvées de justesse de la précédente grêle qui n’a pas épargné les cerisiers en fleurs. Ces minuscules perles d’huile, d’un vert olive authentique qui noircie au fur et à mesure qu’elles grandissent et que ma grand-mère aimait à comparer dans ses énigmes à des nègres accrochés par le nombril.
Je voulais rester encore quelques jours pour observer les premières touches de couleur rose sur les joues des grappes de raisin que je ne goûterai sans doute pas durant mon séjour puisque je serai déjà de l’autre côté de la Méditerranée quand elles arriveront à maturité. En attendant que le raisin mûrisse, je me devais de le protéger autant que faire se peut. Pour ce, je l’ai débarrassé des essaims de guêpes qui tournoyaient autour de cet assemblage de tuyaux et de bois sur lequel la vigne grimpe et forme comme un toit dont l’ombre se moque du soleil. Malgré la chaleur torride de cette journée, j’ai réussi à transformer ces dangereuses bestioles en de vulgaires fourmis inoffensives en leur brûlant leurs ailes et ce en improvisant une longue torche à l’aide des journaux roulés par mon neveu qui s’amusait et riait à tue-tête pendant que je me débattais face à la rébellion des guêpes qui se sont vues délogées de leurs nids par le feu.
Oui, j’aimerais rester encore quelques jours de plus pour contempler les petits visages angéliques de mes neveux et nièces de quelques mois seulement et dont les traits se dessinent plus clairement d’un jour à l’autre en s’embellissant ; puis écouter les nouveaux mots incompréhensibles qu’ils sortent de temps à autre, des mots que seules leurs mamans arrivent à décoder et qui faisaient rire le reste des membres de la famille. Dans ces furtifs moments de bonheur, je me disais souvent que si je raterais mon avion, tout compte fait, je ne raterai rien d’exceptionnel, de merveilleux. Bien au contraire, c’est en prenant l’avion que je me vois rater les raisins, les olives, les sourires des bébés et bien d’autres belles choses kabyles encore.
L’autre sentiment est l’envie pressante de rentrer en France illico presto, sans même regarder les montagnes kabyles qui s’éloigneront doucement dans le rétroviseur de la voiture qui me conduira à l’aéroport. Cette sensation me gagne en particulier à chaque déplacement que j’effectue vers l’une des villes kabyles, Azazga ou Tizi-Ouzou entre autres. Pourquoi ? Pour diverses raisons. D’abord, parce que les olives et les raisins n’ont pas la même essence que celle qu’ils ont dans nos champs et vergers. On ne les voie pas grandir. Elles ne valent que leur prix commercial. Et puis, les oiseaux n’y ont pas droit de cité et les guêpes ne tournent qu’autour des déchets jetés pêle-mêle à même les trottoirs. Mais par-delà mon romantisme primaire, je trouve que nos villes sont viles. Viles pour être vouées au hasard où tout est faisable, tout est envisageable. Tizi-Ouzou, par l’absence d’une éthique basique qui a déserté tous ses lieux est devenue incertaine et menaçante par les comportements bizarres de ceux qui peuplent les trottoirs. Des trottoirs-dépotoirs tout accidentés et occupés par endroits, par des voitures qui sont tellement mal garées qu’on croirait qu’elles étaient déposées là par un tsunami. Et quand ce ne sont pas les voitures, c’est la marchandise des magasins à laquelle il faut prendre garde. Pour cela, je trouve que le mot « trottoir » trouve tout son sens dans nos petites villes kabyles plus qu’ailleurs, car on ne marche sur leurs trottoirs, on y trotte, on y trébuche et on se débrouille comme on peut pour avancer. Cette absence d’éthique –abstraction faite de la morale- m’a poussé à être sur le qui-vive, à me méfier de tout et dans toutes les situations. Au point où un « bon » comportement, un comportement civique, civilisé, ou tout simplement « normal», me laisse stupéfait.
À une semaine de mon retour en France, je me lève plus tôt que d’habitude. Je ne rentre plus à cinq heures du matin et je ne m’offre guère le luxe de la grasse matinée où je m’abandonne au sommeil matinal, bercé par le chant des oiseaux qui nichent dans les trous des parpaings de notre maison. Comme pour mieux profiter et vivre intensément ma journée avec la nature et la famille avant mon imminent départ, j’écoute et j’observe, hors de mon lit, les oiseaux chanter en prenant mon café à même la terrasse. Cette autre luxure, à la portée de tous - encore faut-il avoir la faculté de la savourer- nous présente le village et ses alentours sous un tout autre angle. Je redécouvre les couleurs matinales de ce petit paysage panoramique, pourtant habituel, mais jamais le même à chaque heure de la journée. Je profite au maximum avant la levée de ce terrible soleil que je ne juge utile et agréable que les deux premières heures des matins d’été. Car au-delà, il devient une catastrophe naturelle.
Dans ma valise, vidée de tous les cadeaux que j’ai rapportés de France pour la famille, j’ai commencé à ranger peu à peu d’autres cadeaux. Une place non négligeable dans ma valise est réservée à mes compatriotes migrants qui n’ont pas pu rentrer au pays et à mes collègues, pour qui je laisserai volontiers ma place au soleil caniculaire de ce mois de juillet infernal.
Pour mes compatriotes d’exile, il s’agit de façon générale de quelques figues, de l’huile d’olive, de la prise « chique » préparée à base de tabac à chiquer et de la cendre de bois mort de figuier. Un procédé de préparation typiquement kabyle. Parait-il ça arrache les lèvres! A côté de ces petits plaisirs des exilés, quelques pièces administratives, provenant de l’état civil algérien pour compléter quelque dossier d’un de nos émigrés face à une administration française de plus en plus exigeante. Sinon, quelques logiciels piratés, et des CD, DVD de musique introuvables sur le marché français ou alors trop chers en France qu’au pays.
Si les souvenirs de mon séjour en Kabylie se rangent d’eux-mêmes dans ma tête, sans que j’y dépense le moindre effort, tel n’a pas été le cas pour les placer dans ma valise. Des souvenirs de Kabylie, des bibelots roulés dans des journaux de la presse algérienne et que je mets dans une multitude de sachets afin de les protéger des éventuels dégâts aéroportuaires avec les agents de l’aéroport d’Alger qui ont cette fâcheuse manie de jeter brutalement les bagages des voyageurs comme on se débarrasse d’une poubelle. Les bibelots que j’offrirai encore à mes collègues seront bien exposés dans leurs bureaux. En me rendant au lieu de mon travail, à chaque fois que je passe les voir, je retrouve des bouts de ma Kabylie dans ce vaste immeuble qui appartient à une mairie de l’une des communes des Hauts-de-Seine.
D’autres bibelots orneront le peu d’espace qui reste dans mon appartement. De voyage en voyage, mon logement se transforme en un petit musée Branly. Dans tous les coins et recoins du chez moi d’exile, des miettes de ma Kabylie m’entourent comme un amoureux au milieu des objets offerts par sa bien aimée ou des totems sacrés et protecteurs par leur force ancestrale. Ce fétichisme nationaliste me procure de l’assurance et du bien être. La présence exilée de ces précieux objets prend magiquement une dimension spirituelle, loin de cette image fade qu’ils avaient sur les étalages des boutiques d’artisanat d’Azazga ou de Tizi-Ouzou. Mes bibelots exilés de Kabylie sont partout : sur ma télé, sur l’armoire et sur les murs, des objets en bois ou en plâtre peint, représentant des figures humaines, des scènes de travaux quotidiens des paysans et paysannes kabyles, des meules, des huileries traditionnelles ou alors des symboles qui évoquent une culture et un patrimoine qui s’éloignent à une vitesse phénoménale de la réalité kabyle en ce début du siècle de toutes les mutations qui n’ont souvent pas lieu d’être. En parlant justement du lieu et de l’être, je dois me préparer seconde après seconde au changement de mon lieu et de mon être à l’approche de mon retour en France.
Ma sœur lave avec grand soin une bouteille en plastique qui se retrouvera dans quelques jours comme seul liquide précieux dans ma cuisine de « là-bas ». Elle mettait toute son énergie en la remplissant à moitié d'eau et d'un produit vaisselle, la secouant plusieurs fois puis la vidant pour la remplir de nouveau. C’est ainsi pendant de longues minutes. À chaque rinçage, elle la portait à son nez pour vérifier si l’odeur du produit qu’elle contenait auparavant, avait bien disparu.
À chaque fin de séjour, le même rituel est observé. Ma sœur, après avoir nettoyé les bouteilles, les remplira d’huile d’olive, puis les fermera hermétiquement en utilisant de fins sachets en plastique et du scotch. Mais depuis les menaces terroristes aériennes, elle ne se contentait plus de ces seules précautions ; elle mettait les bouteilles d’huile au congélateur la veille du départ. Je trouve que cela est ingénieux, car les compagnies aériennes interdisent le liquide et non le dur ! C’est ainsi que je transporte mon huile dure durant tout le trajet, priant le ciel qu’elle ne fonde pas au cours des heures de route entre Tizi-Ouzou et Alger, sous un soleil incandescent.
Ma mère quant à elle, attristée d’abord par notre départ, mon frère Vlâiduch et moi, et puis par le refus probable des douanes algériennes de nous laisser passer avec ces bouteilles d’huile, même à l’état dur. Je l’observais dans le silence de ses gestes lents de tendresse, ouvrant un sac de figues sèches qu’elle avait conservé comme un trésor pour cet énième départ.
- Dis-moi mon fils, vont-ils encore vous confisquer ces bouteilles d’huile ? fit-elle en triant avec amour quelques figues sèches nouvellement ramassées à Agwni N Tegzirin et que nous prendrions également, mon frère Vlâiduch et moi, en guise de viatique d’exilé.
- Ne t’inquiète pas maman. Nous les mettrons avec les bagages qui vont dans la soute. L’essentiel, c’est que les bouteilles ne soient pas dans nos bagages à mains. Et puis, l’huile sera congelée d’ici demain. Lui répondis-je sans trop de conviction.
En grignotant savoureusement un bout de figue sèche, je lui expliquais ce que c’est qu’une soute à bagages en schématisant comme je pouvais avec mes mains en l’air, car la seule image qu’elle a de l’avion est cet espèce d’oiseau, de la taille d’un étourneau, au bruit assourdissant, qu’elle aperçoit par temps clair, très haut dans le ciel kabyle ou qu’elle voit à la télé comme un simple OVNI. Je présume d’ailleurs qu’elle maudit toujours l’avion à chaque fois que mon défunt père, il y a quelques années ou nous-mêmes à présent, le prenions pour retourner en France. Mais je préjuge qu’elle doit le bénir en revanche à chaque retour au pays.

- Le fils de Megdouda ujanjar est passé avec Sept litres la semaine dernière. C’est sa mère qui me l’a dit ! S’exclama-t-elle.
- Ah bon ! Moumouh est retourné au Canada ? Déjà ?...Et dire que je ne l’ai même pas vu ! Lui dis-je.
- Lui aussi a demandé après toi, mais tu étais à Tizi-Ouzou ce jour-là. Au fait, sa maman m’a appris que Moumouh supporte de moins en moins la mentalité algérienne, kabyle et arabe. Ses séjours ne dépassent pas une dizaine de jours. Cela le plonge parait-il dans de mauvais souvenirs et il trouve que les choses n’avancent pas dans ce pays. Pire encore, elles reculent.
- Il a raison maman ! C’est un bon type et courageux. Il n'est d'ailleurs pas fait pour vivre ici lui.
- Faites comme tout le monde mon fils. Ne vous occupez pas du pays et de la politique. Vous savez bien ce qui se passe ici !


Après une longue conversation, des conseils qu’elle me prodiguait depuis que j’étais enfant, comme à son habitude, ma mère fini par des prières infinies, à voix audible, puis basse, murmurante, et enfin, intérieure :

- Que Dieu vous protège et vous fasse rencontrer avec des gens vertueux ! Puisse Dieu et « I3essasen » mettre sur votre chemin des fils de famille…

La figue sèche et mielleuse que ma mère m’a tendue est la plus savoureuse de toutes. Mais, une fois là-bas, en France, les figues sèches prendront une autre dimension. Elles seront plus savoureuses qu’en Kabylie, car elles auront toutes les saveurs de la Kabylie, de ses olives, de ses raisins, de ses guêpes et de son soleil. Pourtant, il s’agit bien des mêmes figues ! Quant aux quatre litres d’huile d’ « olive ouzemmour » que je rapporte de Kabylie, elles doivent me tenir jusqu’au prochain voyage…Une huile magique qui transforme toutes les recettes en de vrais plats kabyles. « Un cassoulet » ou un « Petit salé » prend vite des saveurs kabyles sitôt qu’un filet de son huile d’Azemmour y est intégré.


Tah'art.

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